Le chaînon manquant dans la filière lin française, c’était la filature. Jusqu’à présent, les rubans de lin peignés réalisés en France, étaient expédiés en Chine, où des filatures locales produisaient un fil, pour partie tissé sur place. Et puis retour en France pour y être confectionné et distribué.
Comme nous l’explique Serge Nowaczyk ancien filateur de lin, et aujourd’hui dirigeant de La French Filature sur le site NatUp de Saint-Martin du Tilleul dans l’Eure : « il y a 25 ans, pour des raisons de coûts de main-d’œuvre, notre filature a été rachetée puis délocalisée en Tunisie. À la même période, toutes les autres filatures qui se trouvaient encore dans le nord de la France ont également été, soit délocalisée en Pologne pour certaines comme Safilin par exemple, soit fermées et le matériel revendu et réinstallé dans les pays asiatiques
Tout a donc été délocalisé dans ces pays parce que le coût de la main-d’œuvre y était nettement inférieur».
Mais, parallèlement, les gens qui avaient les compétences ont suivi machines et matériels pour les réinstaller dans les différents pays : Brésil, Pologne, Chine, etc. et ont formé le personnel sur place, mais aujourd’hui ils sont pratiquement tous en retraite !
Les savoir-faire ont donc complètement disparu, et il a fallu repartir à zéro. « C’est comme si nous réapprenions aux gens, à lire et à écrire » relève Serge Nowaczyk.
Aberration
Devant une telle aberration, une grande partie des acteurs français du Tricotage et du tissage nous ont alors demandé qu’elle était en fait la partie manquante dans le process de transformation du lin pour avoir la possibilité de faire du 100 % français, sachant que :
- la culture se fait en France et en Normandie en particulier, car il faut savoir que cette région est la plus qualitative au monde au niveau de la fibre du lin ;
- le teillage, la première opération mécanique sur le lin se fait également dans les mêmes départements ;
- le peignage est réalisé sur 4 sites encore en activité essentiellement en Normandie ;
- le tissage avec Demesteer dans le nord de la France et qui fait partie du groupe NatUp depuis environ deux ans.
« Ainsi, le chaînon manquant, comme nous avons baptisé notre projet, a été la création d’une filature au mouillé sur le territoire pour avoir la chaîne complète » précise Serge Nowaczyk.
Le procédé «au mouillé», permet d’obtenir un fil d’une grande finesse, à partir de longues fibres de lin peignées. Ce fil est particulièrement adapté à l’habillement et au linge de maison.
Il peut se tisser et se tricoter, contrairement au fil de lin « au sec », plus épais, utilisé essentiellement pour l’ameublement.
L’objectif de La French Filature est de produire 250 tonnes de ce fil par an, soit l’équivalent de 1,25 million de chemises, 750 000 pantalons de yoga ou encore 300 000 draps de lit.
« Nous allons enfin, poursuit Serge Nowaczyk pouvoir vendre nos tissus aux confectionneurs français, qui sont pour ne pas les nommer Saint-James, Petit bateau, le slip français, 1083, etc. marques qui font parler d’elles pour leur volonté d’atteindre le 100 % made in France ».
C’est désormais possible aujourd’hui puisque La French Filature est capable de présenter une traçabilité complète des matières, du champ jusqu’au produit fini. La boucle est enfin bouclée.
Outils performants
Mais pour relocaliser ce savoir-faire, NatUp Fibres a dû acquérir plusieurs machines de filature et équipements de dernière génération et former les 29 salariés opérant déjà sur place.
Le projet dans son ensemble représente un budget total de 4,4 millions d’euros cofinancé par NatUp, l’État et la Région Normandie.
« Ce qui est extraordinaire, note Serge Nowaczyk, c’est que j’ai vu arriver dans nos ateliers des machines chinoises neuves, copie conforme de celles que j’avais connues il y a 30 ans, sauf pour tout ce qui est transmission qui est devenue électronique vs mécanique. Bravo donc aux « copieurs » chinois car c’est exactement ce que nous recherchions ».
Donc au niveau matériel, la majorité est « made in China » : bancs à broche, continus à filer, sauf un séchoir haute fréquence (italien), un bobinoir (Allemand)
En final, le site dispose d’un outil très performant qui est capable d’épurer complètement les petits défauts qu’il peut y avoir dans le fil et sortir des bobines de très bonne qualité.
« Avec l’ouverture de La French Filature, la chaîne de valeur est désormais maîtrisée de bout-en-bout garantissant une traçabilité complète et une optimisation de l’impact environnemental du produit fini. Fabriquer un fil de lin au mouillé, en maîtrisant localement sa chaîne de production, de la culture de la graine jusqu’au produit fini, permet de nourrir l’écosystème et de satisfaire un nouveau segment du marché, celui de l’habillement et du linge de maison 100 % Français » explique Karim Behlouli, directeur général de NatUp Fibres.
À propos de NatUp
NatUp est un groupe agro-industriel qui rassemble 7 000 agriculteurs dont 5 000 adhérents de Normandie, Picardie, Île-de-France et Eure et Loir. La coopérative accompagne les agriculteurs pour une production durable et de qualité et assure la commercialisation de leur grain, bovins, ovins et légumes. Le groupe compte 4 pôles : grains, légumes, fibres et distribution rurale. NatUp compte 1 800 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 1,14 milliard d’euros.
NatUp fibres (Eco-Technilin, Lemaitre Demeestere, La French Filature) transforme des fibres naturelles dont le lin, pour le développement de nouveaux débouchés dans le textile d’une part et dans les matériaux composites d’autre part.
« C’est une grande fierté pour NatUp que de voir démarrer cette filature qui produira 250 tonnes de fil d’ici 2024 », précise Jean-Charles Deschamps, président de la coopérative NatUp. « En tant que groupe coopératif régional, il était important pour nous que le lin produit par les agriculteurs de la région puisse pour partie au moins, être à 100 % transformé localement en assurant une traçabilité totale du champ à la garde-robe. Nous pouvons désormais offrir cette possibilité au consommateur de privilégier un produit 100 % made in France »