Après une dizaine d’années de relations professionnelles, l’AICP a décidé en 2018 d’être présent en Ousbékistan, au travers un partenariat resserré avec l’ITILT (Tashkent Institut of Textile and Light Industry) sur les formations de modélistes du vêtement.
Mme Khalida Khafizovna Kamilova, à l’origine de ce partenariat, docteur en sciences techniques, professeur et designer est l’une des personnalités incontournables de la mode d’Ouzbékistan.
Elle est à l’origine de son ouverture à l’international et de son organisation sur le plan national. Son engagement a favorisé la mise en place d’un cadre formatif structurant l’ensemble des organisations professionnelles ouzbeks, en fédérant les différents acteurs du secteur, que ce soit dans le domaine de l’industrie, de l’artisanat, de la formation et de la création, afin que tous adhèrent à la même stratégie de conquête d’un grade de qualité, autorisant l’exportation et l’intégration parmi les nouveaux pays reconnus dans la galaxie de la mode internationale.
En répondant à nos questions, Madame Kamilova apporte son témoignage sur ce partenariat et nous livre sa vision de la mode ouzbek

Quelle politique et quels moyens ont été mis à votre disposition pour réaliser la mission qui vous a été confiée ?
Si le textile-habillement ouzbek est aujourd’hui reconnu, c’est grâce au soutien permanent du gouvernement, et notamment du président de la République lui-même qui a voulu que ce secteur soit l’une des priorités stratégiques de notre économie.
En tant que chef du département de l’Institut Textile et de l’Industrie Légère de Tachkent j’ai pour mission de faire revivre et développer le vêtement national en tenant compte des tendances de la mode et d’une recherche de synthèses entre traditions orientales et créations occidentales.
La création dans les années quatre-vingt-dix de l’Association des Créateurs de la République d’Ouzbékistan « Osiyo Ramzi », dont je suis présidente, a pour mission d’identifier et d’accompagner les jeunes talents en leur apportant les conditions créatives et matérielles nécessaires à leur réussite.
De même, sous ma responsabilité et grâce au soutien du Fonds Forum de la Culture et de l’Art d’Ouzbékistan, en étroite collaboration avec la Maison du Style, un certain nombre d’événements ont été crées, comme la Semaine de la Mode de Tachkent, le Festival National des Vêtements pour Enfants « Bolajonlar », le Festival de la Robe où sont présents, outre les talents reconnus, les jeunes créateurs des 12 régions du pays.
Enfin, les représentants de nos différentes branches professionnelles sont régulièrement présents dans les colloques, conférences, expositions, séminaires nationaux et internationaux comme « Design and Textile Industry », « Designer en Ouzbékistan ».
Toutes ces actions favorisent un vrai mouvement créatif au service de notre industrie et de nos métiers.
Quels sont vos défis pour l’industrie de la mode en Ouzbékistan ?
Nos défis, nombreux, sont aujourd’hui ceux de nos concurrents comme de nos partenaires.
Nous devons répondre aux nouvelles exigences environnementales, sans oublier la nécessaire modernisation industrielle.
Nous devons également maintenir un lien très serré entre industrie et artisanat.
C’est pourquoi je suis engagée dans la formation du personnel, et ce tout au long d’une carrière professionnelle.
Quelle est la place des créateurs en Ouzbékistan ?
Nos dirigeants accordent une grande attention au développement de l’industrie de la mode, à la création de marques nationales et à l’appui aux créateurs.
Actuellement les designers nationaux cherchent à entrer sur les marchés européens et d’y être activement présents.
Avez-vous des projets en France afin de promouvoir la mode ouzbék ?
Une exposition est prévue en novembre à Paris à l’Institut du monde arabe, consacrée aux costumes historiques de l’Ouzbékistan dont Je suis le conservateur.
Nous souhaitons également participer aux manifestations importantes et développer des relations avec des entreprises françaises auxquelles nous pouvons proposer des complémentarités, notamment dans le domaine productif.
Quelle importance attachez-vous à la formation technique dans la mode ?
Le développement de la mode a toujours été influencé par le développement de la technologies.
La création de nouveaux matériaux, l’utilisation d’équipements à haute technologie, l’informatique, donnent l’impulsion à la création. Notre industrie textile-habillement a fait un bon remarquable ces trente dernières années et les investissements effectués la placent désormais à une bonne position sur le plan international.
En un mot quel est le rôle et la place de l’AICP à Tachkent ?
La création de l’antenne conjointe de l’AICP et de l’ITILT a permis de réunir des étudiants de toutes les régions de l’Ouzbékistan.
L’objectif principal est la qualité de la formation des étudiants dans le domaine de la conception de vêtements de luxe et de haute-couture.
Le choix du partenariat avec l’AICP renforce cette stratégie dans la transmission des savoir-faire.
Quels sujets aimeriez-vous voir développer dans notre magazine M&T2 ?
Faire connaître les tendances de la mode ouzbek, l’analyse des marchés et des produits de mode et les recommandations pratiques pour améliorer l’efficacité de notre exportation, l’innovation technique de la filière et les points forts des entreprises grâce à des entretiens avec leurs dirigeants et les personnalités du secteur.
Ces 20 dernières années ont été pour le textile-habillement ouzbek des années d’efforts et de conquêtes au niveau de la qualité et de la modernisation de notre industrie et de notre artisanat. Reste à faire reconnaitre la marque « Made in Ouzbékistan » au niveau mondial.
Percée de l’Ouzbékistan vers l’Union Europeenne
La filière textile ouzbek était présente en février dernier sur Texworld, le salon des tissus du monde organisé par Messe Frankfurt France. Sixième producteur de coton du monde, l’Ouzbékistan veut faire mieux connaître la nouvelle organisation de sa chaîne de valeur, redorer son blason et se positionner en Europe.
Le coton ouzbek, représentée par l’association professionnelle Uztextilprom, a longtemps eu très mauvaise réputation Il s’est attelé à opérer sa transition RSE au cours de ces dernières années.
Flash-back
« L’or blanc » Ouzbek est cultivé depuis le XIX° siècle. La Russie lance alors dans le Turkestan un vaste programme d’expansion dans la vallée de Ferghana, l’actuel Ouzbékistan turcophone.
L’Ouzbékistan sous domination soviétique jusqu’en 1991 développe de façon effrénée la culture, ce qui aura des conséquences dramatiques sur l’écologie de la région. La très forte irrigation que nécessite le coton, assortie à une course aux rendements sans discernement a conduit à l’assèchement d’une grande partie de la Mer d’Aral.
Le coton ouzbek fut aussi longtemps boycotté par les grandes marques, en raison du travail forcé, des adultes comme des enfants, qui sévissait dans cette industrie.
La mort, en 2016, du dirigeant autoritaire Islam Karimov, l’arrivée de son successeur Chavkat Mirzioïev va progressivement changer la donne. L’Etat veut se débarrasser de l’image très négative que traîne en Occident l’une de ses principales industries et qui entraîna donc une campagne de boycott internationale.
Le nouveau président assaini les pratiques et éradique le travail des enfants, supprime le travail forcé des étudiants, fonctionnaires, contraints à la cueillette pendant la saison.
Selon un récent rapport de l’OIT (Organisation internationale du travail), le pays a réussi à accélérer la lutte contre le travail des enfants et le travail forcé pendant le cycle de production. Depuis cinq ans, les fermes ont été évaluées par l’OIT, qui certifie que tous les travailleurs ont des salaires et des conditions décentes.
Remodelage de la filière
Le pays développe aujourd’hui, dans le cadre de son plan stratégique commercial 2022-2026, un remodelage de sa filière.
Venu défendre le renouveau du coton de son pays et attirer des investisseurs, l’ambassadeur d’Ouzbékistan en France, Sardor Rustambaev, a rappelé quelques fondamentaux.
Le plan de développement est marqué par une libéralisation de l’économie et du système fiscal : l’Ouzbékistan (35 millions d’habitants) s’est orienté vers un modèle de convertibilité de la monnaie nationale, assortie d’une baisse des impôts sur les sociétés et à un accès aux crédits facilité. L’effort sur la valeur ajoutée est également à l’ordre du jour : le pays exporte du coton brut comme matière première.
Mais aujourd’hui, la chaîne de valeur a été approfondie.
Un million de tonnes de fibres de coton est produit annuellement, production transformée dans les entreprises du pays. 448 entreprises textiles regroupées en clusters produisent 862 000 tonnes de fils, 716 millions de mètres carrés de tissus chaîne et trame, 203 000 tonnes de maille, près de deux millions de produits finis (soit 45 % du total).Le tout est exporté, en 2021 vers 62 pays pour un peu plus de 3 milliards de dollars (2,6 milliards d’euros).L’objectif de 3,3 milliards de dollars (2,9 milliards d’euros) est visé pour 2022.
Percée européenne
Les nouvelles conditions mises en place ont permis à l’Ouzbékistan de bénéficier d’incitations spécifiques, pour favoriser le développement durable et une gouvernance plus vertueuse.
Ces nouvelles conditions ont fait de ce pays le neuvième pays bénéficiaire d’incitations spéciales, à commencer par le SPG (système de préférences tarifaires généralisées) permettant les échanges à taxes très réduites.