Pratique encore balbutiante, et pourtant illustrée par des créateurs de renom, l’Upcycling ou surcyclage fait naître des vocations. Tout au long de la chaîne, le chemin est semé d’embûches. Défis stimulants, mais à terme peut-être handicapants. Une étude de FaStainable fait le point.
Recyclage, surcyclage, réemploi… la terminologie utilisée pour désigner les diverses solutions de l’économie circulaire est à cerner avec le maximum d’exactitude, car elles tendent à se structurer et s’organiser.
Le réemploi est la remise en circuit d’articles en bon état, abandonnés par leurs propriétaires, à travers les friperies et les circuits humanitaires.
Le recyclage consiste à régénérer de la matière première avec des articles au rebut, qui ne sont pas revendables en l’état. Cette activité évolue à grande vitesse avec des techniques toujours plus avancées.
Entre les deux, le surcyclage (upcycling en anglais) est une voie en pleine expansion. Le terme lui-même est très jeune, puisqu’il est apparu en 1994. William McDonough et Michael Braungart, auteurs de « Cradle to cradle » le définissent comme « l’action de récupérer des matériaux ou des produits dont on n’a plus l’usage afin de les transformer en matériaux ou produits de qualité ou d’utilité supérieures ».
On comprend à travers ces définitions que la frontière entre recyclage et surcyclage est très fine. Dans les deux cas, il y a transformation (contrairement au réemploi), et la différence repose sur la notion de valeur.
C’est cette notion de valeur supérieure qui mérite d’être approfondie, car elle est au cœur de la démarche.
Parle-t-on de valeur esthétique, éthique, fonctionnelle ou environnementale ?
Pour exemple, tout le monde semble s’accorder à considérer qu’une matière recyclée est de moins bonne qualité qu’une matière vierge. Mais qualité pour faire quoi ? cela reste à déterminer. Autrefois, on faisait des langes d’enfant et des bandages avec des draps usés, car ils étaient plus doux que des draps neufs, donc de valeur supérieure pour ce que l’on attendait d’eux.
Recyclage ou surcyclage ?
Pour des raisons pratiques, il faut trancher.
On appellera donc surcyclage l’activité qui consiste à récupérer et travailler la matière telle qu’elle est, sans broyage, ni effilochage, ni dépolymérisation. Bref, sans toutes ces opérations qui relèvent du recyclage, consistant à refaire de la bourre, comparable dans sa forme à de la bourre vierge.
Le surcyclage s’alimente en matières pré-consommation, (tissus invendus, chutes de confection, vêtements défectueux ou invendus) et les matières post-consommateur (vêtements au rebut).
On notera au passage que les transformations opérées dans le cadre du surcyclage consomment moins d’eau et moins d’énergie, a priori, que le recyclage.
L’un des pionniers parmi les plus emblématiques de cette aventure est Lamine Badian Kouyaté, fondateur de la marque Xuly Bët. Coqueluche des années 1990, ce créateur mi-malien, mi-sénégalais s’est fait remarquer en récupérant des chutes de maille lingerie, assemblées à la surfileuse, et imprimées par ses soins.
En wolof Xuly Bët veut dire « l’oeil grand ouvert sur le monde » : visionnaire ? Toujours est-il que le livre « Cradle to cradle » (voir plus haut) paraît durant cette même période.
Lamine Badian Kouyaké, Fondateur de la marque Xuly Bët
Honorables rebuts
En 2020, la loi sur la lutte contre le gaspillage oblige la filière habillement à mettre en place des mesures. Il est vrai que les chiffres donnent le vertige.
En Europe, on se débarrasse chaque année de 4 millions de tonnes de textile, dont 80 % ne sont pas valorisés.
En France, malgré les 45 000 points de collecte installés sur tout le territoire, seuls 30 % des textiles au rebut y sont rapportés. Le reste, 400 000 tonnes de vêtements, part à la poubelle.
Entre réemploi et recyclage, le surcyclage est l’activité qui offre le plus honorable débouché à nos rebuts. Seulement, la chose n’est pas simple.
Tout au long des étapes de production, le surcyclage se heurte à des difficultés, ou pour mieux dire, des défis. C’est tout l’objet de l’étude publiée sur internet que FaStainable (cf. encadré) lui a consacré.
On y découvre, étape par étape, un compte-rendu détaillé des défis et opportunités que présente le surcyclage, avec des témoignages, exemples et analyses sur tous les maillons de la chaîne.
Le nombre d’entreprises positionnées sur ce créneau augmente très significativement (pour un comptage qui débute en 2016, sur un total de quinze entreprises, neuf ont été créées en 2020). Ces entreprises vont de la plateforme de stockage de matières, au designer, en passant par les marketplaces et distributeurs.
On l’a vu, il y a de la matière perdue à cause du mauvais tri, mais il y a aussi la question des débouchés. Aller à la pêche auprès des friperies, ressourceries ou enseignes de mode est extrêmement chronophage pour les acteurs du surcyclage.
C’est pourquoi les plateformes de centralisation de stocks de matières dormantes, telles que Adapta, Uptrade ou Nona Source permettent de rationaliser ces démarches, et faire gagner du temps aux créateurs. D’autant que ces plateformes peuvent dans une certaine mesure, assurer la traçabilité.
Virginie Ducatillon, Fondatrice d’Adapta
Charlotte Billot et Eléonore Rothley, Co-fondatrice de Uptrade
FaStainable
FaStainable est une association de loi 1901, fondée en 2020 par deux étudiants sensibles aux problématiques environnementales dans le domaine du textile. Elle compte parmi ses membres des personnes formées à tous les métiers présents sur la chaîne de valeur de l’industrie de la mode.
Son activité actuelle est principalement axée sur la sensibilisation. Mais sa structure et son fonctionnement sont pensées pour permettre la réalisation de nombreux projets.
Adaptabilité et créativité
A partir de stocks disparates et sans suivi, les designers doivent sans cesse réinventer. C’est une tout autre manière de travailler qui se met en place, et qui fait appel à l’adaptabilité et la créativité.
Certains créateurs se sentent stimulés par ces défis, mais le manque de suivi est un frein à la scalabilité du processus.
C’est pourquoi de gros efforts sont accomplis pour rationaliser les démarches de surcyclage.
Trois scénarios ont été identifiés :
légère modification sans démantèlement du vêtement d’origine,
superposition de deux vêtements partiellement désassemblés,
restructuration complète à partir de vêtements complètement désassemblés.
Renaissance Upcycling propose même des patrons de surcyclage. Preuve que la démarche peut atteindre un certain niveau de standardisation. Pour simplifier le problème des gradations, ces patrons privilégient les pièces uniques dans différentes tailles : pantalons coulissés, chemises amples… avec également un service sur-mesure !
Cependant, le danger est que le client potentiel finisse par avoir l’impression qu’il aurait pu faire ces vêtements lui-même.
D’où l’importance de s’entourer de compétences au niveau de la confection. Les finitions doivent être irréprochables et très professionnelles.
Mais comme il n’y a que de toutes petites séries ou des pièces uniques, chaque vêtement demande une adaptation de la part du couturier ou de la couturière, qui doivent rester en dialogue régulier avec leurs designers.
D’une manière générale, le travail de surcyclage demande un rapprochement entre tous les acteurs. Il n’est pas rare qu’un client demande un travail de personnalisation.
Il est à noter en outre que le petit monde du surcyclage fonctionne autour des thèmes de proximité avec les différents acteurs de la filière, d’entraide entre les créateurs, et de complicité avec le client.
Par exemple, Maison Grande Ourse a développé une activité de sérigraphie sur vêtements chinés çà et là. Un design sympathique, un label de la marque cousu sur le vêtement ainsi restauré avec la mention « made in I don’t know » et le tour est joué.
De son côté Gaëlle Constantini pousse son projet dans un esprit d’éco-conception, affichant un « 100 % matière organique » sur tous ses produits. Elle a tout simplement recours au bon vieux test de brûlage pour s’assurer que toutes ses matières sont naturelles. Ces approximations d’indication sont acceptables parce qu’inhérentes à l’authenticité de la démarche qui demande l’approbation du consommateur. C’est une autre forme de transparence en quelque sorte !
Gaëlle Constantini
Cette complicité peut compenser les difficultés de planification et de scalabilité. Elle s’étend à la distribution, à travers des sites comme Reiner Upcycling, qui fait se côtoyer les créateurs engagés dans cette démarche, avec une vraie mise en valeur de la personnalité de chacun.
Choix de positionnement
Maintenant, il restera à faire des choix de positionnement. Le surcyclage permet de faire des créations très originales. Mais cela a un prix. Et le créateur en misant sur un design fort, risque de manquer sa cible.
D’un autre côté, faire des produits basiques le met en concurrence avec des marques qui font cela à grande échelle et pour un prix automatiquement plus attractif.
Par ailleurs, le surcyclage s’oppose à l’uniformisation de la mode. Sa force est justement la créativité et l’originalité, qui lui permettent de se marquer sa différence par rapport à toutes les marques écoresponsables que l’on voit fleurir un peu partout, et qui produisent des basiques intemporels.
Le risque aujourd’hui pour le surcyclage, est de devenir une tendance de style pour des marques qui peuvent s’approprier le « look surcyclé » sur des produits fabriqués de façon conventionnelle. Ainsi, le jean patché de Pull & Bear affiché à 7,99 euros en ligne.
Confrontée à ces problèmes de scalabilité, l’enjeu est donc de rendre la pratique du surcyclage encore plus attirante.
Cette fameuse valeur supérieure que l’on attend du produit surcyclé concerne la fonctionnalité de l’article, sa valeur morale et environnementale, et sa dimension esthétique.
Nul ne sait aujourd’hui comment va évoluer le surcyclage, mais la valorisation des matières pré- et post-consommateur est de toute façon indispensable.
Marine Serre : la référence sur le surcyclage
En 2017, Marine Serre, lauréate du prix LVMH, lance sa marque bâtie sur le surcyclage. Moderne, féminine, d’une infatigable inventivité, la créatrice est devenue une référence dans ce domaine. Elle travaille majoritairement à partir de produits finis et a adapté sa méthode.
Marine Serre
Elle a deux équipes de matières premières. La première est chargée de rechercher et proposer des matières aux designers, et amorcer la collection (partie développement, qui fait donc le pont entre création et production). La seconde source les matières identifiées par le développement dans des volumes conséquents (partie production).
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